Le groupe de travail sur les SPP publie ce jour une tribune dans l’Obs. Le débat et les contributions sont ouverts !
« L’idée de services publics collaboratifs et coproduits avec les citoyens n’est pas nouvelle et trouve des applications concrètes dans les transports, la justice ou les services à la personne. Dans une tribune à « l’Obs », les membres d’un groupe de travail sur le sujet y voient un nouvel horizon pour l’action publique et militent pour le développement des SPP en France.
Dans les années 1970, l’économiste Elinor Ostrom a utilisé le terme de« coproduction »pour la première fois, en expliquant pourquoi le taux de criminalité a augmenté à Chicago lorsque les policiers de la ville ont quitté la rue pour s’installer dans des voitures pour effectuer leur patrouille. La réponse est simple : la sécurité est coproduite avec les citoyens. La police a besoin d’échanges avec la population au cours de sa ronde pour travailler de manière plus optimale.
Cette observation nous amène à proposer la notion de Services Publics Partagés : ces services, décidés et organisés par la puissance publique pour leur intérêt général, font intervenir dans leur mise en œuvre la population, sans laquelle ils ne pourraient fonctionner.
Si la formalisation de la notion est nouvelle, la pratique existe de longue date : les juges des tribunaux de commerce, qui assurent au quotidien le bon fonctionnement de la vie économique sont totalement bénévoles ; le transport solidaire permet d’offrir un service de mobilité aux personnes âgées grâce à des usagers volontaires ; le covoiturage constitue un horizon de nouvelles politiques publiques pour les territoires trop peu denses pour être équipés de transports collectifs ; les crèches parentales sont gérées bénévolement ; des citoyens mobilisent les données publiques pour le suivi de la pandémie…
Participation active des citoyens
Les exemples, très anciens ou récents, de services d’intérêt général que la puissance publique ne sait pas produire seule et pour lesquels elle a besoin de la participation active des citoyens, sont légion. En France comme à l’étranger, il est temps de les valoriser et de les développer pour faire face aux enjeux contemporains.
L’action publique reste une pierre angulaire de la vie collective. Mais elle doit relever des défis : défiance grandissante de la part de certains citoyens, restrictions budgétaires, nouveaux enjeux qui nécessitent de se réinventer (population vieillissante, transition écologique, etc.)…Face à ce constat, les Services Publics Partagés, inspirés des principes de l’économie du partage et facilités par le numérique, offrent un nouvel horizon pour que l’action publique reparte à l’offensive.
En concevant le service public comme collaboratif, les Services Publics Partagésseproposent de recourir à des ressources que l’organisation actuelle du service public et la division entre public et privé ne permettent pas de mobiliser, pour développer des initiatives qui ne seraient possibles sans l’implication conjointe de ces deux sphères. Ces ressources sont larges.
Elles peuvent consister en un partage d’expertise et savoirs, comme avec ces patients-experts, qui partagent leur savoir sur la maladie aux professionnels médicaux. Elles peuvent être matérielles, comme dans l’exemple de conducteurs qui mettent leurs sièges libres à disposition sur des lignes de covoiturage, permettant de proposer une offre de transport là où il n’y a pas d’alternative à la voiture.
Pas des services publics au rabais
Plus simplement, il peut s’agir de partage de disponibilité, comme l’illustrent des programmes de suivi de qualité de milieux naturels par la collecte de données via des bénévoles, déployés dans plusieurs États américains, ou des observations météorologiques locales comme le fait Météo France.
Les bénéfices potentiels ou avérés de SPP sont nombreux : optimisation des ressources, amélioration de la qualité des services, efficacité, inclusivité… Cette approche pourrait aussi permettre de débloquer un frein important à l’innovation d’intérêt général : l’implication publique permet en effet de libérer des injonctions à la rentabilité de court terme qui limitent le secteur privé dans sa capacité d’innovation.
Il ne s’agit pas d’externaliser ou de sous-traiter des services publics au rabais. Tout à l’inverse, cela permet d’améliorer les services existants mais aussi une extension du domaine de pertinence du service public par une intrusion de celui-ci dans de nombreuxno man’s landde l’action publique.
Pourtant, l’approche partagée des services publics souffre aujourd’hui d’un manque de reconnaissance, de difficultés culturelles liées à l’absence de réel encadrement, d’un manque total de moyens pour permettre aux initiatives d’émerger puis de se généraliser. Ces lacunes de cadrage exposent potentiellement cette approche à des dérives : elle ne doit pas être un moyen de l’abandon ou d’un désengagement de l’Etat, ni même être perçue comme telle. Il importe également de veiller à la préservation des principes fondamentaux du service public, comme celui d’égalité d’accès. Par exemple, un SPP accessible uniquement via le numérique pourrait priver les citoyens « non connectés ».
Il est donc nécessaire d’engager une réflexion permettant de poser les principes essentiels du Service Public Partagé – parmi lesquels les fondamentaux de l’action publique, tels que l’universalité – afin de décupler leur potentiel et leur développement concret.
Un groupe de travail rassemblant élus locaux, parlementaires, membres de la haute fonction publique, mais aussi chercheurs et juristes, entrepreneurs et acteurs privés, met autour d’une même table les différents publics concernés par cette notion, pour engager une discussion de fond, capable de lever les obstacles que nous avons évoqués ici. Le débat et les contributions sont ouverts. »
Les signataires :
Pierre Bauby, enseignant et chercheur en sciences politiques
Etienne Chaufour, directeur Ile-de-France de France Urbaine, en charge de l’éducation, des mobilités, et des solidarités
David Djaïz, haut fonctionnaire, essayiste, enseignant à Sciences Po
Olivier Jacquin, sénateur (groupe socialiste, écologiste et républicain)
Aurélie Luttrin, fondatrice d’Eokosmo
Thomas Matagne, président fondateur d’Ecov, opérateur de lignes de covoiturage à l’initiative du groupe de travail
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