Ecov, entreprise de l’ESS dédiée au développement de lignes de covoiturage dans les territoires périurbains et ruraux, lance un groupe de travail dédié à la notion de service public partagé. Il rassemble parlementaires, élus de collectivités locales, membres de l’administration publique, juristes, chercheurs, et vise à publier un livre blanc. Retour sur l’origine et les enjeux de cette notion, que le groupe de travail visera à développer.

De quoi parle-t-on ? 

Il est possible de compter, pour le cadrage de la notion de service public partagé, sur des recherches autour de termes annexes, qui témoignent de l’intérêt suscité par les initiatives associant citoyens et pouvoirs publics. Ainsi, la réceptrice du prix Nobel d’économie Elinor Ostrom évoque celui de “coproduction” pour qualifier dans les années 1970 pourquoi le taux de criminalité dans les quartiers a augmenté à Chicago lorsque les policiers de la ville ont quitté la rue pour s’installer dans des voitures : la sécurité est coproduite avec les citoyens. Les travaux universitaires produits autour de la coproduction la définissent comme l’implication ou la participation volontaire des citoyens dans la production de services publics (Brudney et England, 1983), permettant un “meilleur usage des actifs et des ressources de chacun pour obtenir de meilleurs résultats ou une meilleure efficacité” (Bovaird et Loeffler, 2016). 

 

À partir de cette littérature, nous pouvons définir les services publics partagés ainsi : 

Nous appelons Service public partagé (SPP) des services publics qui font intervenir la population dans leur mise en œuvre et sans laquelle ils ne pourraient fonctionner. Population et professionnels des services publics apportent une contribution substantielle en termes de ressources et/ou d’actifs. Ces services ne sauraient exister sans l’action publique, en raison de l’absence de rentabilité purement privée ; réciproquement, ces services ne sauraient exister sans participation citoyenne, en raison de l’absence de soutenabilité budgétaire (s’ils devaient être assurés par une approche conventionnelle).

Ils cumulent les caractéristiques suivantes :

  • Ils répondent aux critères d’un service public conventionnel : ils répondent à un besoin d’intérêt général ; sont mis en oeuvre à l’initiative de l’acteur public (critère d’initiative) et pilotés par ce dernier ; et répondent aux conditions fixées par la jurisprudence administrative (continuité, égalité, mutabilité) ; 
  • Ils sont conçus, assurés, contrôlés et/ou évalués avec la participation d’administrés, et ne pourraient fonctionner sans cette participation active des citoyens. Les citoyens peuvent éventuellement être indemnisés, mais cette rétribution ne doit pas constituer un salaire.

Un large éventail d’initiatives

Cette définition permet de qualifier un éventail relativement large de contributions de la société civile aux services publics. Ainsi, la contribution des citoyens à la production de service public est déjà une réalité pour de nombreux sujets, plus d’une centaine d’initiatives existe en France (DITP, 2019) : crèche parentales (1% des places en crèches), covoiturage, accueil familial pour personnes âgées, clean walk, signalement de défauts sur la voie publique, tri sélectif des déchets, voisins vigilants/participations citoyennes (dispositifs présents dans 3% des mairies)…Certains services publics très ancrés dans la vie collective pourraient être classés comme SPP : sapeurs-pompiers volontaires (qui comptent pour 75% des effectifs de pompiers), les juges-bénévoles des tribunaux de commerces, les sauveteurs de la Société Nationale des Sauveteurs en Mer.

Voici quelques unes des variations possibles des services publics partagés : 

Synthèse d'après DITP (2019) & OCDE (2016) Synthèse d'après DITP (2019) & OCDE (2016)

Synthèse d’après DITP (2019) & OCDE (2016)

Une nouvelle approche qui répond aux enjeux contemporains 

Les services publics partagés proposent donc une vision novatrice des services publics adaptés aux défis qui se posent aux pouvoirs publics : urgence écologique, imposant la nécessité d’être capable de remplir des missions de service public dans un environnement contraint, reposant donc sur un changement de comportement, et une mobilisation des efforts collectifs ; urgence sociale, caractérisée par un délitement du lien social et une perte de confiance envers les gouvernants. 

Le développement des outils numériques impose d’abord de nouveaux enjeux aux pouvoirs publics :  leur capacité à préserver une souveraineté numérique remise en doute, n’ayant pas nécessairement la main sur la gouvernance de leurs données. En effet, l’hégémonie de certaines grandes entreprises du numérique leurs confèrent un pouvoir démesuré sur leur utilisateurs,  et dans une relation asymétrique avec les services publiques (Bayes Impact, 2018). Le numérique offre aussi de nouvelles possibilités. La centralisation et l’exploitation de leurs données permettent par exemple la définition des besoins précis sur un territoire et de créer des services adaptés (ex : covoiturage, politique de télétravail).  Il décuple les possibilités d’innovation, permet la mise en réseau, l’identification rapide de besoins… pour un coût d’entrée moindre (Bayes Impact, 2018) . 

De fait, le numérique est déjà un outil précieux dans la mise en place de mécanismes de co-production public/société civile : 80% des cas de citoyens fournissant un service public étudié ont recours au numérique (d’après les cas étudiés dans DITP, 2019). 

Le service public fait l’objet d’une mutation, à la fois interne, devant faire face à des contraintes budgétaires structurelles, et une concurrence avec le secteur privé. À cela s’ajoute une exigence supplémentaire d’efficacité, une population vieillissante, qui met sous pression les services de l’État et une demande citoyenne en faveur du développement de procédés de participation. 

Les promesses potentielles du SPP

Les avantages autour du service public partagé, à partir des études réalisées sur la coproduction ou d’autres procédés de collaborations entre pouvoirs publics et administrés concernent d’abord la maîtrise des coûts et des ressources : ils permettent d’optimiser l’emploi des ressources et de diminuer les coûts. Ils portent ensuite sur l’amélioration de la qualité des services publics, les rendant plus efficaces, plus à même de répondre à des problèmes spécifiques, plus inclusifs de l’expérience et du vécu de personnes marginalisées. 

En témoignent par exemple des services de logement de personnes âgées au sein de familles hôtes, qui se développent en alternatives aux maisons de retraites traditionnelles et améliorent la qualité de vie des personnes âgées, créant des opportunités de renforcement des liens communautaires. Enfin, il met un nouvel outil à disposition des services publics, présentant notamment une nouvelle source d’innovation : l’intervention publique permet de développer des innovations différentes de celles portées par un secteur privé qui a une exigence de rentabilité de court terme, en se recentrant sur l’intérêt général. La participation citoyenne donne quant à elle accès à des ressources et des compétences nouvelles. 

Un parcours semé d’embûches

Les études réalisées autour des initiatives de coproduction de services publics, tout en mettant en évidence leurs intérêts, soulignent plusieurs obstacles à leur déploiement, notamment spécifiques au contexte français. Ces difficultés sont de trois ordres. Elles sont culturelles (résistance au changement, et à une évolution par rapport à la vision classique française des services publics, et culture administrative française jacobine). Elles sont ensuite liées au manque d’information sur les bénéfices des services publics partagés. Enfin, elles sont liées à l’absence de réel encadrement de ces initiatives, sur les plans juridique, institutionnel et financier. 

De plus, leur déploiement n’est pas sans risque, qu’il importe de pouvoir anticiper. Des risques :

  • liés aux ressources : le SPP peut aussi augmenter les coûts de transaction ou réduire les économies d’échelle,
  • liés à la mission de service public de l’État : cela peut être perçu comme un désengagement excessif,
  • liés à la qualité des services : qui pourrait être démesurément liée à l’engagement et aux ressources spécifiques des citoyens d’un territoire à l’autre. Les gains peuvent être captés par un autre service que celui à l’origine de la coproduction, ce qui peut rendre les gains potentiels difficiles à évaluer, ou décourager les initiateurs.

Franchir le pas       

Le service public partagé propose donc une approche du service public novatrice, adaptée aux enjeux contemporains. Inspiré des principes de l’économie du partage et facilité par le numérique, il permet potentiellement une meilleure utilisation des ressources des pouvoirs publics, tout en favorisant la responsabilité et l’engagement des administrés, ce qui pourrait permettre de répondre aux enjeux contemporains (sociaux, économiques, environnementaux). En dépit de ces avantages, cette approche peine à se développer en France. L’OCDE, dans son étude internationale sur les partenariats entre les services publics et la société civile, constate en 2016 leur faible présence au niveau national, encore au stade de la “prise de conscience”. Cela malgré des pratiques durables de coproduction à des échelles plus locales. En France, ce constat peut être complété de difficultés spécifiques : culture politique et administrative (Action Publique, Recherche et pratiques, 2018). Là encore, les exemples de services publics partagés réussis sont pourtant nombreux : des très anciens juges bénévoles des tribunaux de commerce, aux récents sites d’information autour du Covid. L’enjeu est donc d’arriver à compléter le diagnostic ici, proposer un cadrage des services publics partagés qui prenne en compte les risques associés, et aide à surmonter les obstacles identifiés, en rassemblant les acteurs concernés par la notion. 

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